C'est un enfer de glace qu'aucun soleil ne réchauffe. Vaste étendue d'eau gelée et de forets enneigées, de cabanes d'encens et de cultes tant aimés. Nerveux, l'homme à la longue tresse blonde attendait sur un petit rond de bois inconfortable, ne cessant de triturer ses doigts fins et longs comme si les réponses à ses questions se trouvaient entre ses phalanges. Ingvar était assis en face d'une femme au visage caché par un voile noir, qui laissait à peine entrevoir quelques boucles brunes ; entre eux, de petites pierres d'obsidienne gravées de runes et de formes secrètes qu'elle seule pouvait déchiffrer. La Volva, détentrice de ce savoir et désignée des Dieux pour transmettre et comprendre leurs messages, restait silencieuse, bien trop occupée à interpréter les différentes missives qui échappaient au guerrier venu l'interroger, et qui s'impatientait déjà. « Alors !? Que vois-tu ? Les Dieux, que disent-ils ? » Avec une lenteur excessive, comme si elle cherchait à le punir de son impudence, la prophétesse releva la tête et perça l'homme de ses yeux d'acier ; il frissonna de terreur mais sa langue ne fut point calmer d'ardeur. « Eh bien, Volva... ? » Face au silence de l'Oracle imperturbable, l'homme grommela dans sa barbe tout en détournant son regard, irrité. Il était habitué aux paroles pleines de mystère de la Volva du village, cependant son mutisme l'agaçait tout autant. « Par Ymir ! Je n'ai pas de temps à perdre, il me faut bientôt embarquer sur mon navire ! » Un petit rire malicieux secoua l'ombre voilée d'obscurité dans la cabane embrumée, celle-ci inclina légèrement la tête sur le côté avant de lui répondre, secouant lentement sa main au dessus du feu crépitant. « Je vois des rivières de sang et d'or. Des monstres de feu et des brasiers glacés. Le divin trinquer avec l'éphémère, de vieilles alliances se briser, des frères se déchirer et des ennemis s'étreindre. » Tout au nord du Denmark, en bordure de la mer gelée et des bois arides, se trouve un bourgade bruyante. Kattegat. Un peu plus de cinq cent âmes y vivent, parmi lesquelles de grands guerriers et de redoutables skjaldmös. On vit au rythme des saisons et des conquêtes ; la vie est fort paisible sur cette terre aride. Paisible ? Les apparences sont trompeuses ; sous son masque de banalité, Kattegat cache bien des secrets et des mystères. Car Kattegat est un village béni des dieux. Ou maudit, c'est selon la journée et les humeurs divines. La Volva avait raison... Le Divin trinquera avec l'éphémère. Le Céleste ploiera l'échine face au mortel. Au dessus de Kattegat, les Dieux se sont penchés. Assis sur cette même rondelle de bois incommode, l'aîné du Jarl lève son regard vers le ciel, auquel il adresse une prière silencieuse pour le Père de toute chose. Depuis Asgard, sur son trône d'or, le Haut-Roi d'Yggdrasil sourit avec fierté et lui répond d'un coup de tonnerre triomphant. Sur Midgard, terre des Hommes, les reflets opalins de la lune argentée se reflétaient sur la façade de la demeure du Jarl, projetant des ombres effrayantes sur les murs et les dédales silencieux de Kattegat. Ce soir, les Dieux observaient la bourgade des mortels d'un oeil assurément moqueur ; mais du haut de son balcon en bois, le Jarl n'a les yeux fixés que sur les drakkars qui s'éloignent de son port.  « Sois prudent, mon fils. Que les Dieux t'accompagnent, puissent-ils te ramener parmi les tiens. »  Le ton est solennel mais sa voix est tremblotante. Le Jarl Magnar espère revoir son aîné mais personne ne peut lui assurer que celui-ci reviendra vivant et victorieux de son périple. Seuls les Dieux peuvent décider de son sort. À des kilomètres de là, Ingvar lève ses yeux mordorés vers le ciel tout en posant l'une de ses mains sur la hache ceinturée à sa taille, espérant découvrir, au milieu de la voute céleste, un message annonciateur de la volonté des Dieux. Sont-ils favorables à ce voyage ? Désapprouvent-ils les combats menés ? Regrettent-ils le sang versé ? Ingvar le sait. Il connait déjà les réponses à ces questions car tout ce qu'il entreprend est pour leur plaire, pour ériger l'autel de sa gloire lorsque sonnera l'heure de son trépas. Le vent frais de la Scandinavie s'engouffre dans ses cheveux tressés sur le sommet de son crâne, les rafales mordent ses joues et piquent ses yeux.. Bientôt, sa terre natale ne sera plus qu'un réconfortant souvenir. Le Drakkar avance fièrement entre les flots saccagés par l'humeur des Dieux, s'éloignant de ce qu'ils connaissent et chérissent depuis des années; ils s'en vont vers une contrée lointaine qu'ils ne sont point sûrs de rencontrer, ils partent vers un autre rivage, plein d'espoirs et de témérité.