
Wicked's Property
ESFIR - GROUPE A, sujet a9 - l'épine

« Le silence morbide de la pièce est troublé par les quelques pleurs enfantins qui se font entendre et qui résonnent contre les parois stériles de la pièce qui comporte seulement deux lits superposés et un équipement de salle-de-bain rudimentaire, rien de confortable ou de rassurant n'apparait dans cette loge, tout au plus, cela ressemble à une chambre d'hôpital désaffectée qu'on aurait coupé en deux pour réduire l'espace au possible. Plongée dans l'obscurité à peine rehaussée par les lumières artificielles qui parviennent par la petite fenêtre ovale de la porte sécurisée, la silhouette recroquevillée de Esfir n'apparait que vaguement comme une ombre de malheur qui se décomposerait sur le sol glacé. Elle porte le même habit que tous les immunes retenus ici, ces vêtements bleus et blancs, peut-être, pour égayer les visages déformés par l'angoisse et la douleur, rendus amorphes, tirés, graciles, épuisés, décharnés, de véritables corps sans âme, sans envie, sans volonté, sans distinction, sans force, sans courage. Faibles. Et vides.
Ses jambes pliées deviennent douloureuses, lourdes, bien trop difficiles à supporter pour son corps tombé dans le combat d'une résistance silencieuse. Elle éclate en sanglots, elle se brise en mille morceaux. Les remparts de sa volonté et de ses pensées idylliques s'éteignent comme accablées par le chagrin et la désillusion inévitable. Elle n'en peut plus. Elle n'y arrive plus. Elle ne le supporte plus. Elle tremble. Elle tremble de froid, elle tremble de faim, elle tremble de chagrin, de colère, d'espérance, elle tremble comme d'une réaction de crise, une hystérie muette, une frénésie bien trop éprouvante. Repliée sur elle-même, les genoux contre son buste de femme, son front niché dans le creux de ses bras encerclants ses jambes, elle tente instinctivement de se protéger de ce qui se cache derrière la porte en formant une carapace avec son propre-corps. Est-ce qu'il pourrait lui servir de bouclier? Presque malgré elle, son cerveau tente de refouler le peu de souvenirs qu'elle possède, et qui lui font autant de mal que de bien. Elle repense à sa vie au Labyrinthe, qui aurait cru que le Bloc allait lui manquer un jour ? Elle repense à la certaine quiétude qu'elle possédait là-bas. Elle pouvait marcher librement à travers le petit bois, elle pouvait courir, elle pouvait s'allonger dans l'herbe et contempler le ciel qui n'était jamais gris, elle pouvait s'allonger sans craindre d'être réveillée en sursaut par des médecins venus la quérir brutalement pour lui prélever du sang, encore plus, toujours plus, cela ne s'arrête jamais. Ils en prennent tous les jours. Ils l'endorment, parfois. Ils lui donnent des visions monstrueuses, chaotiques, elle voit des choses qui lui donnent envie d'hurler de toutes ses forces, jusqu'à s'arracher ls cordes vocales, jusqu'à s'arracher la peau même, jusqu'à s'arracher les yeux pour ne plus subir tout ça. Elle est épuisée, physiquement et moralement. Épuisée. Elle aurait préférée mourir dans le Labyrinthe plutôt que d'être captive de cette tour dont elle ne pourra jamais s'évader. Le Labyrinthe semble être un jeu d'enfant à coté du système de sécurité du laboratoire. Souvent, elle y repense, au Labyrinthe. Aux nombreuses heures qu'elle a passé à l'arpenter en essayant de se souvenir des moindres détails, en essayant d'en sortir. Des nuits qu'elle a passé au Bloc, sous les crépitements du feu de camp, sous les rires des autres Blocards qui s'évertuaient à passer le temps. Même les remarques de Gally lui manquent. Mais ce qui lui manque le plus, inavouable traîtrise de son coeur, c'est Minho. Parfois, elle lui en veut, terriblement. Allant jusqu'à lui reprocher sa situation. Il lui avait promis. Plus jamais elle n'aurait à souffrir. Il serait là. Toujours. Où était-il à présent ? Pourquoi n'était-il pas avec elle ? Est-ce qu'il allait bien ? Est-ce qu'il était toujours en vie ? Était-il heureux, au moins ? Elle aurait donné n'importe quoi pour le revoir. Même un infime instant, même une minute, même une seconde. Juste pour avoir une raison d'espérer. Juste pour avoir une raison de continuer à y croire. Pour pouvoir s'accrocher à la vie, pour ne pas baisser les bras, pour ne pas abandonner. Mais dans cette pièce qui résonnait de ses larmes qui rendaient ses yeux douloureux, il n'était pas là.
— Viens me chercher, je t'en prie..
Elle lui parle comme on parle à un fantôme. Elle s'adresse au ciel en espérant qu'il lui transmette le message, comme une prière vaine, comme un appel au secours, comme un cri de détresse dans le désespoir absolu. »
Durant son séjour au Bloc, Esfir avait souvent songé aux possibles tournures que pouvaient prendre les évènements. Si en réalité, c'était un piège, si il n'y avait pas de sortie ? Si les Blocards étaient les éternels prisonniers de ce maudit Labyrinthe rugissant la nuit et tant mystérieux le jour ? Et si au contraire, ils parvenaient à sortir ? Que cachaient les murs incroyablement hauts ? Qu'est ce qui l'attendait au dehors ? Ses souvenirs ayant disparus, elle ne pouvait point s'appuyer sur ses connaissances pour répondre à cette question à la fois effrayante et donneuse d'espoir. La promesse d'un lendemain sans la crainte des Griffeurs, sans cette vie cloitrée au Bloc, sans les reproches incessants de Gally, sans le rythme déroutant de ces journées à parcourir l'enceinte du Labyrinthe.. Sans être captive. Sans vivre dans l'ignorance. Sans être le pantin d'un Créateur qui ne dit pas son nom. Elle avait imaginé mille et un scénario, du plus plausible au plus déconcertant. Mais la réalité n'avait jamais effleuré ses idées.
Guidée par Thomas, les Blocards avaient réussi à s'échapper du Labyrinthe en se jetant dans la gueule du loup. Si l'idée de rejoindre le nid des Griffeurs avait d'abord semblé être une mission suicide, peu à peu, cela avait pris tout son sens. C'était dissuasif, il faudrait être sacrément désespéré pour emprunter ce chemin. Et c'était peut-être pour ça que l'endroit avait été choisi. Parce qu'il réduisait considérablement les éventuelles tentatives d'évasion. Et Thomas avait eu raison. Ils avaient rejoint le complexe du Wicked, et ils avaient tous réalisé l'improbable: ils s'étaient échappés et ils étaient félicités pour ça. Comme si il avait réussi une épreuve particulièrement difficile. Comme si ils sortaient vainqueur d'un combat qui ne faisaient que commencer.
Certains avaient continué la bataille, en devenant résistant, en réussissant à s'échapper de l'organisation Wicked pour rejoindre les rebelles dans les montagnes. Mais d'autres n'avaient pas eu cette chance. Esfir n'avait pas eu cette chance. Rapidement isolée des autres Blocards, elle fut transférer au Laboratoire, servant de cobaye pour les expérimentations de la Chancelière Ava Paige, toujours à la recherche d'un remède pour lutter contre la Braise.



Elle avait cru rejoindre la liberté. Elle avait réellement cru que ces hommes cagoulés qui avaient fait irruption dans le complexe étaient venus les aider. Mais en réalité, tout ceci avait été orchestré comme une machination diabolique, le piège n'avait cessé de se resserrer autour d'eux. Tout avait été prémédité. L'évasion du Labyrinthe était attendue, elle s'étonnait même que le Wicked se soit montré si patient avant de voir ce jour arriver. Ils n'avaient jamais été libres. Ils ne le seraient probablement jamais. Esfir était devenue le sujet A2. Elle se souvenait encore de son prénom mais il avait pu d'importance aujourd'hui. Qu'est ce qui lui restait ? Désormais, elle pouvait seulement se consoler avec l'idée qu'elle avait des souvenirs heureux. Aujourd'hui, elle était prisonnière du Laboratoire Wicked, on lui prélevait tous les jours du sang en grande quantité en stimulant son cerveau avec des hallucinations effroyables et douloureuses, dans l'espoir de créer un remède à l'épidémie qui sévissait derrière les murs de la Dernière Ville. Elle n'était qu'un corps dont le sang était un trésor rare pour les scientifiques, elle était immunisée contre la Braise. Immunisée. Ce qui lui sauvait la vie la condamnait en même temps. Elle n'était qu'esclave sous l'autorité de la science barbare, un corps en lambeaux, des bras marqués, des yeux qui n'arrivaient plus à pleurer, une gorge qui ne parvenait plus à crier, un coeur qui n'arrivait plus à espérer.
