Des cinq enfants du couple Nielsen, Lisbet est celle qui leur a causé le plus de problèmes ; désobéissante, n’ayant aucun goût pour les bonnes manières, se mêlant des affaires d’adultes et faisant preuve d’un cynisme qui n’épargnait personne, elle fut une enfant aussi charmante qu’effrontée. Quelques années de droite et sévère éducation eurent fini par corriger ce tempérament irrévérencieux, du moins… L’avait-on espéré. Car à l’aube de ses seize ans, le ventre de Lisbet Nielsen s’était soudainement arrondi, et la forme de ce dernier ne permettait point le doute entre l’embonpoint et la grossesse prématurée, qui éclaboussait de honte cette sainte famille qui n’avait, jusqu’ici, jamais croisé une telle humiliation en ses rangs. La noble adolescente, ayant succombé aux charmes d’un jeune employé de maison issu de l’immigration espagnole, en fit les douloureux frais : son premier amour fut menotté sous ses yeux et sitôt réexpédié dans son pays natal, tandis qu’elle devenait peu à peu une coupable aux yeux de sa propre famille. Sa mère, autrefois douce et aimante, la toisait désormais avec mépris sinon dégoût, et son paternel, homme-ours ayant bon fond, préférait l’ignorer. Pour ne point provoquer les railleries et les bassesses dans les bouches bavardes du quartier, Lisbet fut déscolarisée pour « raisons de santé » et se retrouva cloitrée chez elle, prisonnière entre les murs de sa propre chambre, telle une criminelle mis en cage derrière les barreaux. Son fils, encore à l’abri dans son ventre élargi, fut son seul réconfort et sa seule compagnie. Elle caressait souvent son ventre en lui promettant de rejoindre son père pour qu'ils puissent vivre heureux tous les trois, tout en sachant au fond d'elle que ce n'était qu'une douce illusion. Mais ses parents, loin d’envisager un tel déshonneur, l’offrirent plutôt en mariage à un homme plus âgé qu'elle, stérile et possédant un physique ingrat, qui accepta l’enfant à venir comme s’il était de lui. Mais Lisbet affronta seule le supplice de l’accouchement, car ni sa mère ni son futur époux n'eut l’envie de l’assister. L'adolescente démontra bien du courage pour mettre au monde son premier-né, et celui qu’on désignait déjà comme l’enfant du péché, fut nommé Diego en l'honneur de son père.
N E V E R F O R G E T H O W S T R O N G A N D B R A V E Y O U A R E
D I E G O H Ø G H I L S E N
A N D H O W M A N Y T I M E S Y O U H A V E S A V E D L I V E S
Les parents de Lisbet, bien qu’ayant le coeur sec et hermétique à toutes formes de compassion, n’étaient en rien de malhonnêtes gens, et ils avaient bien prévenu Alexander Høgh Ilsen que leur fille a marier était accompagnée d’un nourrisson à la peau ambrée, mais celui-ci, bien qu’ayant accepté les termes du contrat, s’en retrouva fort contrarié : cet enfant ne pouvait décemment pas être pris pour le sien ! Sa peau était bien trop dorée, ses yeux trop foncés et ses cheveux de jais étaient une insulte à la blonde pâleur de sa diaphane chevelure. Il se mit à détester l’enfant qu’il avait pourtant reconnu et qu’il avait promis d’élever comme le sien. Lisbet, prise en étau entre un époux qu’elle n’avait pas choisi et un fils qu’elle ne pouvait plus regarder sans éprouver un profond malheur, mit fin à ses jours alors que Diego n’avait pas atteint l’âge de deux ans. L'enfant se retrouva alors orphelin, son père biologique ne s’était jamais manifesté, sa mère venait de l’abandonner, ses grands-parents l'avaient en horreur et son beau-père, seul tuteur légal qui lui restait, s’empressa de préparer deux maigres valises avant de le laisser devant la porte du premier orphelinat se trouvant sur son chemin. Les grands-parents de Diego, prévenus de son placement en orphelinat, ne trouvèrent rien à redire et furent bienheureux d'être débarrassés de l'enfant indésirable qu'il était. Mais indésirable, il l'était même pour les éducateurs de l'orphelinat. Les sévices commencèrent quelques semaines après son arrivée. La maltraitance étant le quotidien de nombreux enfants peuplant l'orphelinat sur-chargé, les éducateurs et le personnel d'accueil avaient organisé un véritable défouloir parmi les orphelins dont personne ne se souciait. Refusant de l’installer dans une chambre décente, réservée alors aux rares privilégiés devenus trop grands pour être intimidés, Diego fut placé dans le grenier, sur les lames d’un plancher grinçant, sous les combles ornées de toiles d’araignées et dont le toit perforé laissait passer aussi bien la pluie que le vent glacé. Sur un matelas sale, troué et constamment humide, le petit garçon fut contraint de s’installer, sans nulle commode pour ses vêtements, sans nul coffre pour ses quelques jouets. Le ciel, les étoiles et la lune furent ses seules consolations, car aucun des enfants dormant dans la même pièce que lui n'essayait de parler : ils étaient tous muets, silencieux, ayant la volonté de s'effacer, de disparaitre.
Comme sa mère, des années plus tôt, on l’obligea à suivre une scolarité à domicile, l'État plaçant son éducation entre les mains de plusieurs éducateurs certes doués, mais tout aussi sévères. Diego se révéla être un enfant attentif, calme, obéissant et véritablement intelligent, mais un rien suffisait à mettre les éducateurs en colère : ils l'affamaient pour le punir et finissaient par lui donner une pomme de terre crue qu’il était obligé de manger, ou bien un bol de lessive à boire, et lorsque la nourriture n’était pas un instrument de torture entre leurs mains, Diego subissait les douches froides à répétition, et se voyait renvoyé dans sa "chambre" sans avoir été séché. Le petit garçon avait atteint l’âge de neuf ans mais portait déjà la fatigue et la tristesse d’un grand homme adulte. C’est durant cette période que les sévices se firent plus cruels, si bien que durant l’automne de son dixième anniversaire, il fut hospitalisé pour une blessure grave au pied, provoquée par un tisonnier rougi au feu. Comme le séjour à l’hôpital n’éveilla guère les soupçons des médecins, les coups se firent plus quotidiens, et davantage déchainés. Il passait ainsi toutes ses journées en compagnie de ses instituteurs, et lorsqu'un éducateur venait le chercher, ces derniers faisaient de faux rapports sur lui, le disant paresseux, voleur et menteur. L'éducateur, ne remettant jamais en doute les dires de son collègue, montait les escaliers menant au grenier, armé d’une planche en bois serti de clous. Dans la petite ville américaine de Harrison, en Arkansas, tout le monde se doutait du sort enduré par les enfants de l'orphelinat catholique de Saint-Joseph, qui portaient bien souvent des blessures découvrant leurs os, et leurs peaux constellées de tuméfactions n’auraient su mentir, pourtant, personne ne crut judicieux de rapporter les horribles faits à la police, car dans l’esprit de chacun, les éducateurs étaient de braves âmes se rendant chaque dimanche à l’église et élevant seuls, malgré de grandes difficultés, des enfants abandonnés et du surcroit dit difficiles. Diego fut donc contraint de grandir, sans qu’aucune main ne lui soit tendue. Mais là-haut, dans son grenier, chaque nuit, pour panser ses plaies, il observait les étoiles qui brillaient comme des lucioles suspendues dans le ciel, et il s’endormait avec cette même lumière dans le coeur, comme un espoir qui ne faiblirait jamais.
« THE PAST IS THE PAST. DON’T LET IT TO KILL YOU. GET OVER THE BAD THINGS THAT HAPPENED. IT’S GONE. PEOPLE CHANGE. MEMORIES REMAIN. BUT IT’S TIME TO MOVE ON. »
Il travailla durant deux ans sur le projet complexe d'une exoplanète encore inconnue du grand public. Durant deux longues années, ses journées étaient rythmées par cette découverte et les mystères à découvrir la concernant, mais alors qu'il était sur le point de percer l'un d'eux, au prix de nombreux sacrifices et nuits blanches, Diego fut licencié de son travail sans réellement savoir pourquoi. Les rumeurs disaient qu'une langue perfide, jalouse de ses travaux et de son potentiel, avait rapporté de fausses informations le concernant par des lettres anonymes, et ses patrons avaient jugé plus judicieux de lui demander de faire ses cartons avant même de vérifier si les accusations portées étaient avérées. Les lettres le dénigrant, et qui avaient réussi à causer son licenciement, avaient été écrites de la main de ses grands-parents ou des anciens éducateurs de l'orphelinat dans lequel il avait grandi, mais il n'avait aucune preuve pour le prouver, alors, sans faire d'esclandre, et malgré les protestations de ses collègues qui s'insurgèrent de cette décision injuste, Diego quitta son laboratoire de recherche sans hausser la voix, seulement déçu d'être aussi mal traité. Quelques jours plus tard, sa collègue de travail Adrielly toqua à sa porte pour lui apporter l'avancement des travaux, et de loin, en secret, grâce à elle, Diego continua ainsi à travailler sur son projet. Mais quand bien même il s'estimait heureux et chanceux de pouvoir participer à la découverte de l'exoplanète, il devait se trouver un nouvel emploi pour payer ses factures.
Tandis que les bourreaux déclinaient, prenant de l’âge et perdant leurs forces, leurs victimes grandissaient : les sévices cessèrent alors, mais les mots tranchants et déchirants remplacèrent les coups et firent tout autant de dégâts. Lorsqu’il eut son premier certificat d’étude, Diego fit une demande de bourse pour intégrer une université de sciences et d'astrophysique à New-York, et grâce à ses excellentes notes, la réponse fut positive. Ce fut alors la libération tant attendue. Malgré les paroles dénigrantes des éducateurs, qui ne cessèrent de lui marteler qu’il n’avait aucune chance de réussir et qu’il finirait à la rue avec une aiguille dans le bras, Diego emporta ses maigres bagages et prit un train pour la capitale afin de commencer des études d'astrophysique, celles dont il avait toujours rêvé. Pour réussir, il livra un travail acharné et fit preuve d'une assiduité plus que sérieuse sérieuse lors des cours, qu'il ne manquait presque jamais malgré les deux jobs étudiants qu'il cumulait pour pouvoir payer ses études, son loyer et de quoi survivre. Huit ans plus tard, sans jamais avoir eu de contact avec ses anciens bourreaux et après un travail acharné pour réussir ses examens, Diego fut diplômé, et embauché dans la foulée par la NASA, ayant été fortement recommandé par ses professeurs et ayant réussi l'admission haut la main. Fort du salaire confortable qu'il percevait enfin, il quitta son logement miteux pour un appartement plus confortable, pensant ainsi démarrer une nouvelle vie, enfin.
w h o a m I ? W h y a m I h e r e ?
I'm not perfect but I try my best
w e l l, n o w i ' m a w a r r i o r
Mais ses nombreuses candidatures dans le monde de l'astrophysique ne reçurent aucune réponse ou essuyèrent un refus, alors Diego n'eut d'autre choix que de se tourner vers une autre voie. Puisqu'il aimait aider les autres, il décida d'en faire son métier mais, encore ici, les choix étaient bien minces : sans diplôme lié à la médecine, il ne pouvait décemment pas exercer dans un hôpital, et le monde de la police demandait une formation trop longue, alors, Diego décida de se tourner vers le métier de détective privé. Il rencontra Nikolaj Larsen, qui refusa tout d'abord de l'embaucher à cause de son manque d'expérience, mais face à son insistance, il accepta de le prendre à l'essai et lui confia une mission bien périlleuse, sans nul doute convaincu qu'il allait baisser les bras ; la mission consistait à dénicher des informations importantes sur les nombreux meurtres d'hommes soupçonnés d'être des prédateurs sexuels, souvent bien trop puissants pour être punis dans un tribunal, qui sévissaient dans la ville depuis plusieurs mois déjà, et pour lesquels la police n'avait aucune piste sérieuse. C'était loin de décourager Diego, que la détermination rendait soudainement invincible. Mais invincible, il ne l'était guère, et son séjour à l'hôpital quelques semaines plus tard le fit bien cruellement redescendre sur Terre. Car à force de vouloir trouver les réponses à tout prix, il avait été trop curieux, posant des questions, enquêtant et découvrant des choses qu'il n'aurait jamais dû entendre à propos des fameux meurtres d'hommes accusés de viols, d'agressions ou d'attouchements, qui vivaient en toute impunité. Quelqu'un, ou plusieurs, semblait vouloir leur faire payer le prix de leurs crimes que la "justice" ignorait, et bien que ces Vendettas soient illégales, surtout quand elles entrainaient la mort, Diego ne pouvait s'empêcher d'avoir un avis ambivalent sur les personnes qui se faisaient justice eux-mêmes. Mais piégé et entrainé sur un terrain vague par une dizaine de personnes cagoulées d'après ses souvenirs, il fut roué de coups et perdit conscience avant de se réveiller à l'hôpital quelques heures plus tard. Fort heureusement pour lui, il s'en sortit avec quelques côtes cassées et de multiples contusions sans gravité. Un simple avertissement lui avait-on dit, la prochaine fois, il ne verrait pas le soleil se lever. Dès le lendemain, Diego fut interrogé par la police, le lieutenant Eliott Christensen se rendit en personne à l'hôpital pour lui soutirer quelques informations, mais le blessé refusa de coopérer, feignant de ne plus se souvenir de rien. Les médecins affluèrent en son sens, affirmant qu'un tel choc pouvait en effet conduire à des pertes de mémoire, et les autorités ne purent, de ce fait, insister davantage. Mais Nikolaj, acharné, ne fut point convaincu par cette amnésie et fit pression sur Diego pour qu'il lui avoue la vérité. Larsen avait une motivation personnelle pour s'acharner autant sur cette affaire mystérieuse, son grand-frère ayant été tué quelques mois auparavant dans des circonstances similaires, il s'était fait une promesse sur la tombe de son aînîé : il arrêterait les coupables et mettrait un terme à ces crimes abjectes. Diego, qui n'avait pourtant jamais vraiment connu l'amour familial, fut touché par la détresse et la détermination de cet homme, et décida de l'aider en échange d'une participation active et physique à l'enquête : Nikolaj accepta et l'embaucha alors à plein temps dans son agence de détectives privés.
